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Photo du rédacteurWilliam Beville

Les influences artistiques d'Alien : Covenant

Dernière mise à jour : 27 déc. 2023


Affiche du film Alien : Covenant et gravure de Gustave Doré, La chute des anges rebelles


Sorti en 2017, Alien : Covenant, le dernier opus de la franchise créé par Ridley Scott, nous offre un exemple particulièrement évocateur de l’importance des influences artistiques d’un auteur sur sa réalisation. Ridley Scott compte en effet parmi les cinéastes contemporains les plus imprégnés de culture visuelle et à peu près tous ses films portent la marque de son gout pour la grande histoire de l’art européen. Nombreuses sont ainsi les références au romantisme allemand, à Wagner, aux peintres pompiers italiens ou aux sculpteurs de la renaissance dans son œuvre. Il confesse d’ailleurs lui-même qu’il aurait aimé être peintre et suivit en ce sens des études artistiques à la West Hartlepool College of Art, dont il sort diplômé en design en 1958.


Travaillant en étroite collaboration avec l’artiste H.R. Giger sur l’esthétique du premier film de la série et la conception de sa créature emblématique, Ridley Scott imprima immédiatement la marque de l’art visuel sur son film. Les suites du premier opus ne développèrent pas réellement ce lien, mais dès lors que le cinéaste reprit le contrôle de la franchise, il y eu une nette augmentation des références artistiques, caractéristique du réalisateur.


Ainsi, dans le dernier chapitre de la série, Alien: Covenant, Scott cite une douzaine d'œuvres d'art, la plupart d'entre elles liées à l'iconographie religieuse, en particulier aux thèmes de la chute de Lucifer, de l'expulsion d'Adam et Eve hors du jardin d'Eden et du voyage à travers l'Enfer. De par sa composition, l’une des affiches du film évoque dans un style sombre et horrifique les nombreuses représentations picturales du thème de la chute des anges rebelles avec ses enchevêtrements de corps précipités vers l’enfer, notamment les versions de Franz Floris (1554) et de Gustave Doré (1866). Au sommet de la composition, la place dévolue à Saint Michel est ici occupée par la terrifiante créature extra-terrestre, marquant ainsi le triomphe du mal.



Frans FLORIS, La chute des anges rebelles, 1554



Les références à l’histoire de l’art sont présentes dès la première scène du film. Dans une grande salle blanche minimaliste, Peter Weyland, fondateur de Weyland Industries, vérifie les caractéristiques opérationnelles de sa première création robotique, l'androïde David. A travers une immense baie vitrée, Weyland contemple un paysage de lac et de montagne, panorama exceptionnel rappelant le gout de Ridley Scott pour les cadres naturels romantiques et grandioses. Cette scène d’ouverture est l’occasion d’un échange philosophique entre Weyland et le robot qu’il a conçu, David, sur le thème de la création. Plusieurs œuvres d’art sont alors invoqués comme témoignage du génie humain : une nativité de Piero Della Francesca, le David de Michel ange, un fauteuil trône du designer italien Carlo Bugatti et un piano à queue Steinway, sur lequel David improvise un air de Wagner.



Scène d'ouverture du film Alien : Covenant, 2017



Dans la suite du film, de nombreuses scènes constituent des références directes à des œuvres d'art classiques comprenant des illustrations du Paradis perdu de Milton et de La Divine Comédie de Dante. Il est parfois délicat de distinguer ce qui relève de la citation intentionnelle de ce qui s’apparente à des choix plus libres de la part du metteur en scène. Les ciels tempétueux, les lumières irréelles, les paysages naturels sauvages suscitant à la fois fascination et effroi, marquent l’influence de la grande tradition de la peinture romantique du XIXème siècle.  Ridley Scott revendique clairement cette inspiration en citant la poète anglais Shelley par le biais d’un de ses personnages (David). De plus, le réalisateur intitula d’abord son film Alien : Paradise Lost, hommage direct au chef d’œuvre de John Milton. L'antihéros androïde David 8 est en effet à peu près analogue au Satan de Milton, un ange déchu qui se rebella contre son père divin (le milliardaire Peter Weyland) pour constituer ensuite une armée de créatures démoniaques.


Ridley Scott fait également un clin d’œil remarquable à l’histoire de la peinture par une référence subtile à l’une des versions du tableau d’Arnold Böcklin, l’ile des morts (1886). Cette peinture du symboliste suisse (1827-1901) représente une ile vers lequel se dirige, sous un ciel noir et orageux, un frêle esquif conduit par Caron, le guides des enfers, qui dans la mythologie grecque est chargée de faire traverser le Styx aux âmes des défunts à travers le royaume des morts. Cette ile mystérieuse composée de hautes falaises escarpées surplombant de leur masse le fleuve et prenant en tenaille des cyprès, forme un ensemble lugubre qui renvoie directement à la nécropole de la planète inconnue sur laquelle débarquent, à l’instar de ceux du Nostromo de la version originelle, les astronautes du vaisseau Covenant. Chez Böcklin, la verticalité des lignes et les pleins que formes les rochers colossaux sont autant de signes d’une tragédie en cours et d’une oppression sourde que Ridley Scott reprend à son compte. Nous avons ainsi la sensation forte de voir le tableau de Böcklin animé, les cyprès agités dans la nuit tempétueuse renforçant la dimension poétique et mélancolique propre à l’œuvre du peintre.



L'ile des morts, réinterprété par Ridley Scott


Nous retrouvons d’ailleurs cette atmosphère mélancolique dans de nombreux autres films du réalisateur qui, en 45 ans de carrière, développa un regard profondément pessimiste sur la nature humaine, à l’image des romantiques du XIXème siècle. Comme ceux-ci, Ridley Scott est habité par une esthétique de la ruine, sujet d’une méditation sur la caducité des grandeurs humaines, la condition de l'homme dans l'univers et l'origine des maux de la société.


Ainsi, selon le critique Marc Moquin, « l’idée de la ruine elle-même est romantique et Scott s'intéresse beaucoup au processus qui conduit vers cette ruine. A la fin des 'Duellistes', quand l’Empire est tombé, la royauté est revenue, il y a cette scène avec des bureaux vides, des meubles dissimulés sous des tissus blancs… Cette esthétique de la tristesse et de la désolation est très contemporaine ».

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