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Photo du rédacteurWilliam Beville

Le Sartorialisme, réaction à la décadence du style masculin

Dernière mise à jour : 15 janv. 2024





Depuis quelques années, un nouveau phénomène de mode prend de l’ampleur, diffusé largement à travers les réseaux sociaux, de nombreux ouvrages, chroniques et sites internet lui sont consacrés. Expression d’une volonté de reprise en main du style vestimentaire masculin, il s’agit du sartorialisme. Ce mouvement rencontre un vif succès sur la toile, notamment auprès de jeunes hommes, lassés du laisser-aller vestimentaire dérivé du casual et du sportswear américain, et soucieux de reconquérir le raffinement et l’élégance perdus du style masculin classique.


Le sartorialisme, terme anglais dérivé du latin sartor (tailleur), désigne l’art de s’habiller dans les règles traditionnelles afin d’incarner un certain modèle de classe masculine. Ce mouvement met d’abord l’accent sur la qualité, la coupe et la confection de vêtements de manière traditionnelle, faisant ainsi la promotion de l’art tailleur à l’ère du prêt-à-porter généralisé. Il ne prône cependant pas un retour à un âge d’or présumé mais préconise une connaissance fine du vestiaire masculin classique et des différentes manières d’accorder ses habits dans un esprit d’élégance et de distinction.


Le sartorialisme émergea en Italie au début du 20ème siècle, lorsque les tailleurs italiens commencèrent à se distinguer par leur habileté à couper et à confectionner des vêtements de qualité supérieure. Ce goût pour la chose sartoriale prit une nouvelle dimension à partir des années 2000, notamment par le biais d’internet, avec le blogue du photographe de mode américain Scott Schuman, The Sartorialist. Le mouvement s'est rapidement répandu en Europe et aux États-Unis, où il fut adopté par de nombreuses célébrités et figures influentes (En France, citons Hugo Jacomet et son site internet Parisian Gentleman). Ces personnalités s’accordent sur un point, il s’agit aujourd’hui d’inciter les hommes à reconsidérer l’importance du vêtement, sur un plan esthétique et social, comme les européens en eurent toujours le souci.


Comme tous les mouvements d’avant-garde, la démarche sartoriale reste cependant très minoritaire, mais nous ne pouvons qu’être séduit par cette volonté d’assumer tenue et raffinement à l’ère de la massification d’un style vestimentaire unisexe, sans grâce, dominé par la logique du relax et du confortable, bien souvent informe et négligé, reflet d’une société aplatie et morose.


Cette réalité est la conclusion d’un long processus historique qui, en France a vu pour les hommes après le costume à la française, apparaitre la redingote puis le “smoking” ou veste de dîner, puis le costume-cravate, puis la simple veste, puis le chandail, enfin le polo ou le maillot… Aujourd’hui, le PDG s’habille comme son employé, la femme s’habille comme un homme ; le bourgeois comme un prolétaire ; le bobo comme un clochard. Le “blue-jean”, pantalon de travail des ouvriers américains, est devenu l’uniforme des Français des deux sexes et de toutes conditions.


L’habit comme marqueur de distinction social a donc disparu. Le sartorialisme entend réagir contre cet avachissement et cette indifférenciation, phénomène global touchant l’ensemble des sociétés occidentales. On assiste en effet à un effacement de l’opposition entre la distinction et la vulgarité, critère fondamental de tout système de valeurs. C’est ainsi que la façon de s’habiller donne à la civilisation sa tenue : il faut donc que la mode, tyrannique par nature, impose ses exigences à tous en obligeant chacun à rivaliser avec les autres pour se distinguer du vulgaire.


La vulgarité a cessé d’être honteuse, elle est désormais ouvertement affichée partout, dans la rue, sur les plateaux de télévision, dans la publicité, la musique, le cinéma, les galeries d’art contemporain, dans le monde politique et bien entendu dans la mode.  Le laisser-aller vestimentaire accompagne l’atomisation sociale et la disparition des normes d’habillement, mettant fin à l’ancienne homogénéité de style propre aux peuples occidentaux jusque dans les années 60. Ce refus des conventions vestimentaires n’est que l’expression, dans le domaine de la mode, d’un rejet global des règles, rites et coutumes qui s’imposent à l’individu intégré dans une communauté de destin et réclamant de sa part une certaine conduite et une certaine tenue. Le libéralisme triomphant a fait voler en éclat ces anciennes contraintes qui donnaient sa forme au groupe, pour n’aboutir qu’à un laisser-aller sans direction, ou la liberté tyrannique de l’individu s’impose dans une société devenue anomique.


Le sartorialisme ne se limite pas à la seule volonté de soigner son habillement, attitude susceptible de dériver en véritable obsession narcissique, il constitue un élément important d’une démarche générale visant à valoriser le beau, la qualité et la finesse. La chose sartoriale implique donc une curiosité fondamentale pour des domaines initialement étrangers à la seule question vestimentaire (œnologie, art, littérature, artisanat, cuisine etc…). Cette démarche est en réalité l’expression de l’héritage éthique du gentleman, elle se fonde sur certains éléments basiques tels que la politesse, l’attention portée à l’entourage, le goût des convenances, le respect du prochain et le désintéressement. C’est en cela que le sartorialisme est révolutionnaire face aux travers de la société moderne (déclin du savoir-vivre, incivilités, violence, indifférence etc…) Il propose une restauration de la vieille civilité européenne en offrant une alternative à l’uniformisation des styles, à la vulgarité et à l’abêtissement général.

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