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Photo du rédacteurWilliam Beville

Le Marquis de Morès

Dernière mise à jour : 27 déc. 2023


Le 14 juin 1858, l’hôtel particulier sis au 79, rue de Grenelle résonne de la bonne nouvelle : un garçon vient de naître. Il se prénomme Antoine-Amédée-Marie-Vincent. Son nom de famille ? Manca de Vallombrosa. Fils de Richard Manca-Amat, duc de Vallombrosa et de Geneviève de Pérusse des Cars, ceux-ci ne réalisent pas encore que leur fils deviendra l’un des plus grands aventuriers français de son temps. La postérité gardera son souvenir sous le titre qu’il prendra à sa majorité : marquis de Morès.


Elevé dans un milieu aristocratique aisé, Antoine se révèle très tôt être un garçon turbulent, c’est sans doute une des raisons pour lesquelles ses parents le confient à l’Abbé Raquin, un abbé de choc qui ne se laisse guère influencer par le petit caractère d’un gamin de dix ans. Charles Droulers, qui consacra un livre au marquis de Morès en 1932, note : « Morès appartient à la catégorie des enfants terribles. Son impétuosité naturelle l’entraine en des escapades continuelles. Tel du Guesclin, il se plait à organiser avec les enfants de son village de petites troupes qui se livrent des combats acharnés dont il revient avec de bons horions. Les instincts militaires apparaissent déjà. Ses portraits d’enfant le montrent tenant à la main un petit fusil. »


En 1873, il entre au collège de la Seyne-sur-mer. Comme de nombreux adolescents d’alors, il veut faire navale. Une méchante maladie l’empêchera de se présenter à l’examen d’entrée. « Ce n’est rien, dira Antoine à ses parents. Je vais entrer à Saint Cyr. » C’est au cours de sa formation militaire que le marquis découvre l'amour de l'équitation, au point de servir plus tard dans la cavalerie où il excellera. Il y rencontre également un homme avec lequel il va se lier d’une profonde amitié : Charles de Foucauld. Celui-ci n’est pas encore l’ermite mystique que la postérité retiendra mais plutôt un joyeux dandy avec un grand sens de la fête.


Marguerite Castillon du Perron, biographe de Charles de Foucauld, note à propos du marquis : « Toujours en mouvement, plein de projets, il n’aura de cesse qu’il n’ait changé le monde. Rien ne le laisse indifférent et il voudrait être partout en même temps. Revues et journaux s’entassent sur son bureau en désordre. Il est au courant de tous les discours à la chambre, a envie d’interpeller lui-même chaque député, s’exaspère devant la neutralité et l’immobilisme du gouvernement. Chrétien et papiste convaincu, ce qui ne l’empêche pas de forniquer à sa guise, il se montre aussi bien moderniste qu’antisémite. Indignés par les fortunes qu’édifient les industriels nés de la révolution, il souhaite voir les ouvriers participer à la gestion des affaires, défend le droit de grève et prêche la révolte des classes moyennes. L’heure est à l’audace et aux grands investissements. L’Australie réclame des immigrants. Il reste des terres vierges en Amérique. Que fait-on pour protéger la veuve et l’orphelin ? Continuera-t-on à laisser les vieillards sans retraite ni asile ? »


A l’issue de sa formation, Morès est affecté à Maubeuge dans un régiment de cuirassier. Mais il s’ennuie bien vite dans sa garnison de l’est et en 1881, il donne sa démission. C’est lors d’une permission à Paris qu’il rencontre sa future femme, Medora von Hoffmann. Svelte, blonde, américaine, fille de banquier newyorkais, ils se plaisent immédiatement et décident de se marier le 15 février 1882 en l’église Sainte Marguerite de la Bocca à Cannes. Sept mois plus tard, Antoine et Medora débarquent à New-York pour y commencer une nouvelle vie. Mais encore une fois, le marquis s’ennuie, il a besoin d’air et de grands espaces, et pour les aventuriers, les têtes brulées, il y a la vie sauvage du Far West. Après un long voyage sur la Northern Pacific Railway en direction de l’ouest sauvage, Morès choisit son destin, il sera ranchman dans les vertes prairies du Dakota.


Il s’établit dans les badlands du Dakota du nord ou il fonde une ville qu’il baptise du nom de sa femme. Pendant trois ans, Medora bourdonne d’activité alors que le marquis et son beau-père, le baron Von Hoffman, investissent massivement dans la construction d’abattoirs afin de de créer un marché local de viande d’élevage. La ville s’enrichit d’un théâtre, d’un club, d’un grand hôtel, le « De Morès » et pour relier les fermiers isolés, il crée une ligne de diligences donnant également accès aux champs aurifères des Black Hills. Madame de Morès ajoute un peu de civilisation à la ville en faisant édifier une église catholique et la première école de Medora.


Au plus fort de sa prospérité en 1885, la ville de Medora comptait 251 résidents permanents, cinq hôtels, un médecin, une pharmacie, une salle de billard, une patinoire, plusieurs salons et autres commerces. Malheureusement, l’idée du Marquis était en avance sur son temps. Des hivers rigoureux, la sécheresse, l’échec du marché et de mauvaises décisions commerciales ont conduit à la perte de son rêve. À l'automne 1886, le marquis et sa famille quittent le territoire du Dakota. Découragé pour la première fois de sa vie, Morès liquide toutes ses affaires américaines et se résout à quitter ce pays auquel il a trop cru.


Le marquis de Morès dans son aventure américaine



De retour dans les salons parisiens, le marquis tourne en rond, il a besoin d’espace et d’action. Il décide alors de partir en Inde et au Népal sur les conseils de son père. Il y restera un an, occupé principalement à organiser des safaris de chasses qui tourneront rapidement en véritables opérations guerrières. Sur le bateau qui le ramène des Indes en France, Morès écoute avec une attention toute particulière les récits que lui font les officiers qui viennent de faire campagne au Tonkin. Mis au fait des problèmes de communication dans cette région, il demande à rencontrer le ministre des Affaires étrangères auquel il fait part de son projet de construction d’un chemin de fer reliant la frontière de Chine à la mer par le Tonkin. On lui accorde toutes les lettres auprès des agents consulaires français en Chine et au Tonkin. Le voilà donc à l’autre bout du monde, planifiant les travaux publics dans les colonies d’Extrême-Orient. Mais Morès va jouer de malchance. A paris, le cabinet Floquet est renversé. C’est le ministère Tillard qui le remplace avec, à l’intérieur, Constans, qui a été gouverneur d’Indochine pendant dix mois et a laissé sur place Gabegie et confusion. Celui-ci fut également accusé d’être impliqué dans la disparition suspecte de M.Richaud, le résident général d’Hanoi, avec lequel Morès s’était lié d’amitié. C’en est donc trop pour le marquis, il décide de faire payer à Constans ses mauvaises manières et rentre à Paris en avril 1889.


Se jetant dans l’Arène politique avec la fougue et la passion qui le caractérisent, Morès soutiendra d’abord avec vigueur l’adversaire de Constans à la députation de Toulouse, avant selon lui « de passer aux choses sérieuses ». A cette passion de l’engagement, Morès va tout sacrifier : son temps, son activité, sa fortune, la douceur de son foyer. Il sacrifie aussi la plupart de ses relations familiales et mondaines qui ne comprennent pas la hardiesse de ses théories sociales, son dévouement à la cause des humbles et des ouvriers. Il connait l’amertume de se voir désavoué par son père, et c’est le déchirement suprême. Mais rien ne peut fléchir sa volonté. Admirateur de Drumont, il demande à rencontrer l’auteur sulfureux de la France juive. Les deux hommes sympathisent immédiatement et Drumont propose à Morès de l’accompagner à Neuilly pour assister à un meeting de Francis Laur, député boulangiste. Nous sommes le 18 janvier 1890, Morès entre véritablement en politique.


On lit dans le pilori du 20 janvier 1890, le compte rendu suivant : « Il s’est passé, samedi dernier, à Neuilly, dans une vulgaire salle de bal, un fait considérable, je dirai même un évènement historique. Les bases ont été jetées d’une alliance étroite entre ce qui reste d’aristocratie virile et clairvoyante et le monde des travailleurs sur le terrain des revendications sociales. D’énergiques appels à la justice ont été poussés, de loyales promesses d’union été échangées entre les hommes de classes jusqu’ici ennemies devant une foule ouvrière enthousiaste jusqu’au délire. » A la tribune on remarque surtout Morès, il passe bien la rampe, il plait. Il défend une idéologie socialiste originale, respectant profondément la religion, la patrie, la famille et la propriété individuelle, toute chose honnies et condamnés par les pontifes du collectivisme.


S’attirant nombre d’ennemis dans l’arène politique, il en fait l’occasion de démontrer ses talents au duel, au pistolet et à l’épéé, qu’il remporte à chaque fois. Il provoque même Clémenceau mais le duel n’a pas lieu. Morès descendra dans le Var pour contrecarrer la candidature de celui-ci, le contraignant même à ne plus tenir de meetings publics. Mis en ballotage au deuxième tour, Clémenceau est battu par son adversaire, Jourdan. Morès se réjouit de la défaite de son vieil ennemi et tourne maintenant ses regards vers d’autres départements français : ceux d’Algérie.


Nous sommes en 1893 et Après s’être imprégné du contexte politique nord-Africain, le marquis entreprend de renforcer l'emprise française et de freiner les avancées britanniques à l'intérieur du continent. Il utilise la rhétorique antisémite à son avantage en Algérie, prononçant des discours affirmant que les juifs français et britanniques conspirent pour conquérir l'ensemble du désert du Sahara. Alors que les Britanniques se trouvent dans une position difficile au Soudan après la mort du général Charles George Gordon lors du siège de Khartoum, Morès prévoit de rencontrer le Mahdi, un puissant dirigeant musulman ayant l'intention de saper l'hégémonie britannique dans la région. Il constitue alors une escorte à Tunis et met en route sa caravane vers Kébili. Il porte sur lui d’importantes sommes d’argent.


En route, il recrute des Touaregs et renvoie les tunisiens, mais trompé par ses derniers, il tombe dans une embuscade. Opposant une résistance héroïque, le héros parvient à tuer quatre des assaillants qui l’environnent de toutes parts mais acculé, blessé de plusieurs coups de sabre, il finit par s’affaisser sous un dernier coup de poignard. Hurlant de joie, les Touaregs pillent alors la caravane et laisse le Marquis pour mort au lieu-dit « El Ouatia », à la frontière de la Tunisie et de la Lybie, au matin du 9 juin 1896… Comme beaucoup de sombres affaires où les intérêts politiques sont en jeu, celle-ci restera sans conclusion. Trois participants au meurtre sont arrêtés, l’un d’eux fera quelques mois de prison et un autre, condamné à mort, sera gracié par le président de la République sur demande de Medora. Le dernier sera condamné à vingt ans de travaux forcés.


Les obsèques du marquis de Morès sont célébrées le 19 juillet 1896 lors d’un service religieux grandiose à la cathédrale notre dame de Paris puis au cimetière Montmartre ou il est inhumé. Ses restes seront ensuite transférés au cimetière de Cannes. Medora mourut dans la même ville en 1921, à l’âge de 63 ans.


« La vie est un voyage et un combat. La vie éternelle est le but, la vie humaine une épreuve et un moyen. Il y a deux armes pour la traverser : le travail et la prière. Souviens-toi qu’en cherchant envers et contre toute la justice et la vérité, tu te rapproches de Dieu ».


Le marquis de Morès, dans une lettre adressée à son fils.

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