top of page
Photo du rédacteurWilliam Beville

La création artistique au défi de l'intelligence artificielle



Théâtre d'opéra spatial, œuvre créée à l'aide d'une IA par l'artiste Jason Michael Allen



L’apparition des outils d’intelligence artificielle et leur perfectionnement toujours plus avancé soulèvent des questions fondamentales sur la nature de la création et la place de l’homme dans le processus artistique. L’intelligence artificielle est probablement une invention de même ampleur que la photographie ou le cinéma et elle aura un impact comparable sur les œuvres artistiques du futur. Nous constatons déjà son influence dans de multiples domaines (divertissement, éducation, recherche, finance, science…) et elle deviendra sans nul doute de plus en plus présente dans notre quotidien. Son impact dans le champ artistique suscite logiquement interrogations et inquiétudes car l’art, domaine de la sensibilité, de l’émotion et du gout doit à priori échapper à l’emprise rationnelle de l’ingénierie informatique.


Au cours de l’histoire, les innovations techniques ont conditionné la nature des productions artistiques (L’apparition de la photographie fit naitre la modernité picturale, l’invention du microphone et des techniques d’amplification sonore permis le développement de styles musicaux tels que la pop et le rock etc…) Il existe donc un lien profond unissant l’objet technique et l’objet artistique. Celui-ci n’est pas seulement le fruit des évolutions spirituelles d’une époque, il est, au moins depuis la fin du XIXème siècle, sans cesse tiraillé entre des conceptions esthétiques sincères et un arraisonnement de ces conceptions par la technologie dominante de son temps. Notre époque voit la quasi-disparition de la portée spirituelle des œuvres ainsi qu’une relativisation des enjeux esthétiques (tout est possible, c’est la fin des percées avant-gardistes). La technique occupe donc une place hégémonique et les œuvres qui excitent encore la curiosité de nos contemporains sont bien souvent prétextes à la démonstration des dernières innovations technologiques. L’outil n’est plus le moyen, il est devenu le but et l’unique objet de fascination.


La technologie dévore le domaine de l’art, de la même manière qu’elle inonde la vie moderne dans sa globalité. La façon dont on consomme les productions artistiques aujourd’hui fait intégralement partie de notre univers communicationnel, et même finit par s’y confondre. L’art devient une information comme une autre et le plaisir esthétique est de plus en plus conditionné par la qualité des canaux de diffusion. On cherche le meilleur casque ou la meilleure platine pour avoir le meilleur son possible, ou la meilleure télévision pour regarder sa série préférée dans des conditions de confort optimales.


Il est ici question du problème de l’importance accordée au facteur humain dans la création artistique. Nous pouvons raisonnablement nous demander si celui-ci sera encore central dans les œuvres du futur. Notre environnement technologique couplé à un phénomène de déculturation (globalisation, disparition de l’exigence dans l’éducation, déclin de la culture classique, mercantilisme, primat de la communication…) ont participé ces dernières décennies à l’installation progressive d’une infirmité normative. Cette réduction du spectre du sensible et de l’intelligible, rapproche peu à peu l’homme de la machine dont il convoite les pouvoirs. Il n’est pas impossible que la dimension humaine présidant à la création d’une œuvre (la souffrance de l’artiste, sa sensibilité, sa vision, son surpassement, son sacrifice…) devienne à terme négligeable voire incompréhensible.


Les ordinateurs peuvent aujourd’hui composer de la musique, peintre des tableaux, écrire des romans ou des poèmes, recréer des voix d’autrefois, dialoguer avec les morts, toujours en procédant par combinaison de style appris. Les programmes numériques offrent « des possibilités infinies pour explorer de nouvelles formes d’expression artistique », comme le dit ChatGPT3 lui-même de cette technologie.


De nombreux artistes utilisent ces nouveaux outils numériques, et les œuvres des robots artistes intéressent maintenant les collectionneurs. Le portrait Edmond de Belamy produit par les machines du collectif Obvious a lancé le bal en 2018 en trouvant preneur pour plus d’un demi-million de dollars. Le 5 septembre 2022, l’œuvre Théâtre d’opéra spatial (image d’illustration), créée avec l’IA par l’artiste Jason Michael Allen, a remporté le concours des beaux-arts de la Colorado State Fair, devenant ainsi l’une des premières images générées par l’IA à remporter un prix. M. Allen a résumé en entrevue l’implication de cette victoire par une formule choc : « L’Art est mort. C’est fini. L’IA a gagné. Les humains ont perdu. »


Les réactions positives et négatives suscitées dans les milieux culturels et artistiques témoignent de l’ampleur de la révolution en marche. L’art généré par l’IA « soulève des questions sur la nature de l’art et de la créativité, et sur la place de l’homme dans le processus de création artistique », comme le résume encore ChatGPT3.


Selon l’historien de l’art Jean Clair, « l’enthousiaste populaire pour les œuvres d’art, qui finit par ressembler à un trafic assez crapuleux de reliques, finira bientôt par sombrer dans la déroute, à mesure que l’on constatera, la foi en l’art reculant devant les lumières de la société technoscientifique, que beaucoup sont fausses, et que même celles dont la valeur historique aura été avérée sont sans vertu. Le temps viendra ou ces sanctuaires, à leur tour seront désertés, ces itinéraires artistiques abandonnés, empoussiérés ces vitrines qu’on aura entre-temps furtivement vidées des objets qui faisaient l’orgueil des collections. »

L’IA prendra donc le relais dans la production d’images artistiques, et chacun bénéficiant des outils permettant son usage, tout le monde pourra devenir un artiste en puissance, c’est déjà un peu le cas. Finit le rôle de guide spirituel, de glorificateur ou de révolutionnaire, l’artiste sera dans le futur un médiateur social, destiné à humaniser les nouvelles technologies.


L’auteur Hugues Dufour, dans son ouvrage L’Art face à l’IA, prédit que « Demain, des applications plus élaborées permettront d’éduquer une IA et de générer des œuvres qui correspondent à l’état d’esprit dans lequel on veut être plongé. Ce sera la personnalisation ultime des contenus artistiques, bien plus puissante que la plus personnelle des playlists. Le musée imaginaire sera à portée de tous. Dans ce nouveau paradigme artistique, qu’adviendra-t-il des artistes ? Ils seront les maitres et concepteurs de ces outils techniques. Nous avons vu combien les techniques extrinsèques ont fini par remplacer les techniques intrinsèques dans la réception des œuvres d’art. C’est la dernière étape dans ce renversement de valeur ; l’artiste ne sera plus qu’un concepteur d’outils techniques que le public s’appropriera pour générer les œuvres qui lui plairont vraiment. L’individualisme s’emparera de l’art jusque dans ses fondements intimes. »

Comments


bottom of page