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Photo du rédacteurWilliam Beville

L'onirisme mystique de Giovanni di Paolo

Dernière mise à jour : 27 déc. 2023



Sainte claire secourant un enfant mutilé par un loup, 1453



De toutes les merveilles de la renaissance italienne, la peinture siennoise du quattrocento est sans doute l’une des plus fascinantes et des plus riches. En marge des grands bouleversements de la scène florentine, l’école siennoise développa entre le XIIème et le XVème siècle une esthétique unique caractérisée par la fusion de différentes traditions, incarnant cette phase de basculement entre la peinture médiévale byzantine et la Renaissance.


La peinture siennoises de cette époque se distingue avant tout par son aspect décoratif et plat. En effet, contrairement aux peintres de la deuxième renaissance, elle ne vise pas à représenter fidèlement la nature mais plutôt à donner forme aux symboles d’un monde surnaturel. La place occupée par la peinture Siennoise dans l’ensemble du Quattrocento italien peut ainsi être comparée à celle de la poésie symboliste dans la littérature du vingtième siècle.


L’un des plus grands représentants de cette école fut sans aucun doute Giovanni di Paolo (1403-1482). Formé à Sienne au début du Quattrocento par Taddeo di Bartolo, il devient rapidement un peintre prolifique et un illustrateur de manuscrits, créateur d’un monde empreint de mystère, plein de miracles, d’apparitions fantastiques et de visions hallucinés. Un univers aux accents féériques ou les symboles du divin se font jour au sein de campagnes idylliques, harmonie et perfection d’un monde miniature ou les êtres et les choses paraissent soigneusement disposés selon la volonté de Dieu.


Ses œuvres, qui ont exclusivement un caractère religieux, montrent dans leur évolution une expressivité toujours plus intense. Marquées d’abord par l'influence des maîtres siennois précédents, ses paysages et ses figures résonnent encore des échos du travail de Duccio, la figure tutélaire de toute l’école Siennoise de l’époque. Son style deviendra par la suite de plus en plus individualisé, caractérisé par des couleurs vigoureuses et dures et des formes allongées.  Les montagnes aux formes étranges, les cieux déchirés, les forêts obscures, les figures aux traits nerveux et expressifs traduisent une spiritualité tourmentée.


Nous trouvons également dans ses premières œuvres des reflets du style de son contemporain Sasseta. A l’opposée des compositions soigneusement aérées de celui-ci, celles de Giovanni di Paolo sont extrêmement touffue, et l’œil y est constamment accroché par des détails étrangers au thème principal. Délaissant le principe d’unité visuelle qui inspirait les panneaux de Sassetta, Giovanni di Paolo développe une technique du récit plus prolixe, plus familière et plus spontanée, mise en scène dans une sorte de pseudo-perspective capricieuse. En outre, la préciosité du rendu pictural et l'attention portée aux détails naturalistes dans ses premières œuvres apparaissent comme une rupture avec le style de ses contemporains.


En 1441, Giovanni di Paolo est nommé recteur du Ruolo dei Pittori puis collabore avec Sano di Pietro, ce qui l’amènera vers la maturité de son style. Durant ces années, l’influence de la nouvelle génération de peintres siennois, ainsi que certains éléments de la peinture florentine, se retrouvent dans son œuvre. Ses compositions révèlent désormais une plus grande monumentalité dans les formes et un sens de la tridimensionnalité plus prononcé. A partir de cette période, Giovanni di Paolo réalise la plupart de ses chefs-d'œuvre et son atelier reçoit de nombreuses commandes. Parmi ceux-ci, La création du monde et l’expulsion hors du paradis est particulièrement remarquable. Peint en 1445 à la détrempe à l'oeuf et à l'or, ce panneau de bois faisait autrefois partie d'un retable - connu sous le nom de retable de Guelfi - dont la partie principale se trouve aujourd'hui à la Galerie des Offices à Florence.






La création du monde et Adam et Eve chassés du paradis,1445




Combinant les effets visionnaires exquis et les détails narratifs chers au peintre, le tableau présente une vision du Paradis qui rappelle celle décrite par le grand poète florentin Dante Alighieri. Quelques années plus tôt, l’artiste avait d’ailleurs réalisé 61 images pour enluminer un exemplaire du « Paradiso », le troisième livre de la « Divine Comédie ».

L'univers est représenté comme un globe céleste, avec la terre au centre entourée d'une série de cercles concentriques représentant les quatre éléments, les planètes connues (dont le soleil, conformément à la cosmologie médiévale), et enfin les constellations du zodiaque. La scène de la Création est présidée par Dieu le Père, baigné d'une lumière céleste éclatante et soutenue par une nuée de séraphins. A côté du "mappamondo" (carte du monde) se trouve le jardin d’Eden, ses quatre rivières sortant de terre en bas à droite. La flore éclatante du jardin symbolise la pureté de l’homme sans péché d’avant la Chute. Dans la partie droite du tableau, Adam et Ève sont expulsés du jardin par un ange souple dont la nudité inhabituelle et la forme humaine symbolisent une forme de compassion pour l'état corrompu de l'humanité après la chute de la grâce.


Le peintre nous montre donc deux scènes distinctes en une seule ; Dieu flottant au-dessus de l'univers et l'expulsion d'Adam et Eve. Dieu expulse simultanément Adam et Ève et les bannit sur terre, mais pourquoi alors sa main ne pointe-t-elle pas directement vers la Terre ? Une réponse viable à cette énigme est la suivante : en suivant le regard du geste de Dieu, l'œil du spectateur est dirigé vers le signe du Poisson qui n'est pas dans sa position traditionnelle. A 12h00 se trouve le Bélier et à 1h00 se trouve le Taureau. A l’époque médiévale, ces signes représentent le printemps, et surtout la saison de la fête de l'Annonciation. Dieu semble indiquer directement la date de la fête, le 25 mars. Il s'agit de rappeler au spectateur la signification de l'Annonciation et de réfléchir sur « le but de la venue du Christ – « réparer la Chute » commise par Adam et Ève et racheter les péchés de l'homme.


Après 1450, Giovanni di Paolo évolue graduellement vers un style de plus en plus imprégné par le rêve et les caprices de l’imagination, un célèbre critique compare sa peinture au mysticisme de Sainte Catherine de Sienne, des récits de songes où le subconscient intervient comme révélateur d’une vérité surnaturelle. La peinture italienne offre peu de plaisirs aussi grands que celui de suivre Giovanni di Paolo lorsque, comme Alice, il plonge à travers le miroir qui sépare la réalité du surréel pour explorer le domaine d’un monde énigmatique et sacré. Beaucoup de ses œuvres d’alors dégagent en effet une atmosphère onirique admirable, comme le surréaliste Saint Nicolas de Tolentino sauvant un navire.


Ses dernières œuvres, moins innovantes, révèlent un plus grand degré d'intervention en atelier. On raconte qu'au cours de ses dernières années, même si son imagination ne s'est jamais affaiblie, ses capacités à peindre se sont détériorées et des assistants l'ont aidé à exécuter son travail. Paolo dicta son testament le 29 janvier 1482 et mourut en mars de la même année. La réputation de Giovanni déclina après sa mort mais fut relancée au XXe siècle où la critique redécouvrit don œuvre, notamment à travers les travaux de John Pope-Hennessy.



Saint Nicolas de Tolentino sauvant un navire, 1457

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