En prenant de la hauteur sur le contexte politique global actuel et sur les secousses qui agitent notre monde, nous observons qu’une tendance de fond est à l’œuvre. Une tendance que Guillaume Faye, auteur prolifique et multifacette, avait deviné et développé dans un de ses plus remarquables ouvrages, L’archéofuturisme, techno-science et retour aux valeurs ancestrales. Publié en 1998, cet essai expose la nécessité de transcender la division entre les partisans d’une restauration des traditions du passé et les défenseurs de nouvelles formes sociales et technologiques – pour aboutir à une synthèse adaptée au monde qui se dessine à notre horizon : l’archéofuturisme. A travers une analyse des dégâts causés par le libéralisme occidental, l'inertie politique, l'immigration effrénée et la haine de soi ethnique ; Faye défend l’urgence d'abandonner les positions passées et d'oser affronter les réalités du présent afin de réaliser l'idéologie du futur.
La grande idée défendue par l’auteur, celle dont nous voyons déjà les signes à travers les mutations sociales et les convulsions politiques à l’échelle planétaire, est que la parenthèse des XIXème et XXème siècle est un train de se refermer. Les hallucinations de l’égalitarisme produites par les idéologies modernes ayant sombré dans la catastrophe, l’humanité opère un retour aux valeurs archaïques, selon un mouvement de balancier que Nietzsche nommait l’éternel retour de l’identique. Ce retour de l’archaïsme s’opère toutefois dans un contexte hypertechnologique, ce qui constitue son originalité historique.
Faye précise le sens du mot archaïsme « positif et non péjoratif », selon la signification du substantif grec arché, qui signifie à la fois « fondement » et « commencement », autrement dit « impulsion fondatrice ». Il a également le sens de ce qui est « créateur et immuable » et se réfère à la notion centrale « d’ordre ». « Archaïque » n’est pas « passéiste », car le passé historique a produit la modernité égalitaire qui échoue, et donc toute régression historique serait absurde. C’est la modernité qui appartient déjà à un passé révolu. Ainsi nous allons rentrer dans une période où l’anthropologie va devenir un outil plus pertinent que les sciences politiques et les questions fondamentales de races, d’ethnies, de culture et d’appartenance religieuse redeviendront centrales.
Selon l’auteur, « un certain nombre d’enjeux qui agitent le monde actuel et qui menacent de catastrophe la modernité égalitaire sont déjà d’ordre archaïque : le défi religieux de l’islam, les batailles géopolitiques et océano-politiques pour les ressources rares, agricoles, pétrolières, halieutiques ; le conflit Nord-Sud et l’immigration de colonisation vers l’hémisphère nord, la pollution de la planète et le heurt physique entre les souhaits de l’idéologie du développement et la réalité. Tous ces enjeux nous replongent vers les questions immémoriales. Envoyés aux oubliettes les débats politiques quasi-théologiques des XIXème et XXème siècle, qui n’étaient que discours sur le sexe des anges. La récurrence des questions « archaïques » et donc fondamentales laisse pantois les intellectuels modernes qui dissertent sur le droit des homosexuels à se marier ou d’autres sujets insignifiants. La caractéristique de la modernité mourante, c’est la propension à l’insignifiance et à la commémoration. La modernité est passéiste tandis que l’archaïsme est futuriste. »
Nous assistons, en particulier chez la jeunesse, à une désaffection croissante du modèle d’intégration républicain, dégradé par les impérities d’une classe politique sans envergure et par l’inadéquation entre son discours et les nouvelles réalités culturelles et sociales du pays. La violence croissante et plus généralement, le déclin de la civilité, marque l’effritement inéluctable et angoissant d’un système de normes sociales qui, jadis paraissait aussi naturel que l’air que l’on respirait. Source de cette dégradation, l’individualisme de masse exonère les individus de leur devoir envers la communauté et généralise les comportements anti-sociaux.
Produits de cette individualisation à outrance, les jeunes recherchent paradoxalement les moyens d’y échapper car elle n'aboutit qu’à l’esseulement et à la barbarie sociale. L’adoption de valeurs archaïques est alors l’expression du refus de l’erreur de l’émancipation de l’individu, commise par la philosophie des lumières. Communautarisme, quête d’appartenance, respiritualisation sont l’expression d’un besoin fondamental de se sentir inclus dans un groupe soudé par un idéal commun, structuré et protégé. Ces valeurs archaïques sont justes au sens des anciens grecs parce qu’elles prennent l’homme pour ce qu’il est, un zoon politikon (« animal social et organique inséré dans la cité communautaire »), et non pour ce qu’il n’est pas, un atome asexué et isolé muni de pseudos « droits » universels et imprescriptibles.
Concrètement, ces valeurs anti-individualistes permettent la réalisation de soi, la solidarité active, la paix sociale, là ou l’individualisme pseudo-émancipateur des doctrines égalitaires n’aboutit qu’à la loi de la jungle. Sur le plan de l’organisation politique, l’hypothèse d’un affaiblissement de l’Etat central et d’un retour à une forme de féodalisme est tout à fait crédible. A l’échelle continentale, une Europe néo-fédérale fondée sur des régions autonomes serait la réactualisation de l’organisation antique et médiévale, une Europe décentralisée ou les peuples instaureraient leur propre loi. Sur le plan démocratique, la technologie moderne permettrait la participation directe des populations via consultation référendaire immédiate au moyen de messageries électroniques verrouillées.
Nous voyons bien, dans l’exemple américain, une esquisse de ce modèle, où les intérêts privés très puissants concurrencent le pouvoir central. Le cas d’Elon Musk est à cet égard très emblématique, sorte de seigneur féodal post-moderne, ses ressources considérables lui permettraient virtuellement de fonder une communauté autonome placée sous sa gouvernance, établir ses propres lois, générer sa propre économie, développer des solutions énergétiques alternatives etc… Le patron de Space X a d’ailleurs lui-même révélé que son objectif était la création d’une ville martienne d’un million d’habitants à l’horizon 2050.
Ce dernier exemple illustre bien la nature de l’archéofuturisme. Projetées dans le futur, les valeurs de l’arché sont réactualisées et transfigurées. Le futur n’est donc pas la négation de la tradition, de la mémoire historiale du peuple, mais leur métamorphose, et donc finalement leur renforcement et leur régénération.
Pour résumer, en reprenant la thèse du philosophe italien Giorgio Locchi, Faye parle d’une conception sphérique de l’histoire, par opposition à la conception linéaire ou cyclique : « Imaginons une sphère, une boule qui avancerait de manière chaotique sur un plan. Fatalement, au bout de plusieurs rotations, le même point de la boule se retrouvera au contact du tapis. C’est l’éternel retour de l’identique mais non pas du « même » Pourquoi ? Parce que la boule n’est pas immobile : si le point de la sphère est bien tangent au tapis, ladite sphère n’est plus au même endroit. Il y a donc retour d’une situation « comparable » mais en un lieu différent. »
Il faut donc « penser ensemble la techno-science et la communauté immémoriale de la société traditionnelle. Jamais l’une sans l’autre. Penser, comme le pressentirent aussi Raymond Abellio et Jean Parvulesco, l’homme européen à la fois comme le deinotatos (« le plus risqué »), le futuriste, et l’être de mémoire. Globalement, le futur requiert le retour des valeurs ancestrales, et ce, pour toute la terre ».
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