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Photo du rédacteurWilliam Beville

Génie du Christianisme


Fra Angelico, Le Christ ressuscité au tombeau, détail de la prédelle du Couronnement de la Vierge, 1430


Publié en 1802, Génie du Christianisme compte parmi les plus grandes œuvres de l’apologétique chrétienne. Au lendemain de la révolution, Chateaubriand, qui n’a pas 30 ans, se lance dans une ambitieuse entreprise de réhabilitation de la religion chrétienne, dans un contexte d’hostilité profonde à l’égard de l’église et de ses représentants. Écrit dans un style éblouissant d’intelligence, de subtilité et de poésie, cet ouvrage est le témoignage de l’amour profond que Chateaubriand porte à la religion chrétienne, à ses fondements, sa morale et son esthétique.


C'est, selon l’auteur lui-même, un double deuil (la mort de sa mère et celle de sa sœur en 1798) qui l'incite à écrire le Génie du Christianisme. Chateaubriand change alors radicalement de point de vue sur la religion, lui qui dans Essai sur les Révolutions, paru en 1797, considérait le christianisme comme un fait historique et social, bientôt destiné à être remplacé par une autre croyance. Il compte maintenant se réhabiliter en mettant son talent au service de la religion, se vantant lui-même d’être celui qui a rouvert la porte des temples.  L’ouvrage exercera une influence profonde sur les idées littéraires et religieuses du XIXème siècle.


L’auteur d’Atala a sans doute immédiatement senti et compris que la fièvre révolutionnaire, loin de délivrer le peuple de l’obscurantisme et de la superstition, ne ferait qu’instaurer un immense vide au-dessus de lui. Les français, alors hagards et honteux, errant dans les ruines de leurs églises et de leurs temples, ne tarderaient pas à ressentir le besoin vital de se réfugier dans le sein de cette divinité dont ils affirmaient l’inexistence quelques années plus tôt. « On avait alors un besoin de foi, une avidité de consolation religieuse, qui venait de la privation même de ces consolations depuis de longues années ».  


A sa parution, Le Génie du christianisme souleva l’enthousiasme parce qu’il montrait aux Français qu’ils n’avaient pas à rougir de leur foi. En plus de redorer l'image d'une religion malmenée, Chateaubriand entend apporter de nouvelles preuves de l'existence de Dieu et démontre la supériorité des œuvres chrétiennes sur les œuvres de l’antiquité : « De toutes les religions qui ont jamais existé, la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres. Le monde moderne lui doit tout, depuis l'agriculture jusqu'aux sciences abstraites, depuis les hospices bâtis pour les malheureux jusqu'aux temples élevés par Michel-Ange et décorés par Raphaël. Il n'y a rien de plus divin que sa morale, rien de plus aimable, de plus pompeux que ses dogmes, sa doctrine et son culte ; elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, donne de la vigueur à la pensée, offre des formes nobles à l'écrivain et des moules parfaits à l'artiste. » 

Cette apologie sera à l’origine du réveil du sentiment religieux au début du XIXème siècle, le christianisme apparaitra alors au romantisme naissant comme une grande source de poésie et d’émotion, en plus de susciter l’intérêt pour le moyen âge, les vertus héroïques de la chevalerie et la beauté de l’art gothique.


Pour Chateaubriand, toute la littérature, tous les beaux-arts, toute la pensée philosophique et savante ne sont pas autre chose que l'émanation de Dieu. La religion chrétienne est un trésor d’intelligence, de poésie, d’amour et de beauté car elle est l’expression suprême de la sagesse et de la bonté divine. Elle s’impose naturellement dans le cœur de ceux qui reconnaissent en elle la voie lumineuse vers le salut et la vie éternelle. Selon l’auteur, elle formule la vérité éternelle de la nature de l’homme, créature déchue, chassée du paradis par la faute de son propre orgueil et devenue, ici-bas, un être désuni, trahissant sa dégénération primitive dans la précarité de ses entreprises, l’inconstance de sa volonté, la limite de ses forces.


 « L’homme contredit la nature : déréglé quand tout est réglé, double quand tout est simple, mystérieux, changeant, inexplicable, il est visiblement dans l’état d’une chose qu’un accident a bouleversée : c’est un palais écroulé et rebâti avec ses ruines : on y voit des parties sublimes et des parties hideuses, de magnifiques péristyles qui n’aboutissent à rien, de hauts portiques et des voutes abaissées, de fortes lumières et de profondes ténèbres : en un mot la confusion, le désordre de toutes parts, surtout au sanctuaire. »


Pour Chateaubriand, comme pour Pascal, l’homme est inconcevable sans le mystère du péché originel. L’homme tel que nous le voyons n’est pas l’homme primitif, un accident s’est produit, dégradant sa nature et bouleversant son destin. « L’homme, dans sa constitution primitive, ressemblait au reste de la création. Sa constitution se formait du parfait accord du sentiment et de la pensée, de l’imagination et de l’entendement. On en sera peut-être convaincu si l’on observe que cette réunion est encore nécessaire aujourd’hui pour gouter une ombre de cette félicité que nous avons perdue. » Le cœur humain conserve encore les vestiges de sa nature originelle, il veut plus qu’il ne peut, il veut surtout admirer, s'élançant vers une beauté inconnue qu'il ne peut jamais atteindre tout à fait.


Pour Chateaubriand, le christianisme a fait faire d’immenses progrès à la raison et au cœur de l’homme.  Il a bouleversé l’esprit humain et créé des peuples différents des peuples antiques. L’Écriture apprend aux hommes leur origine, les instruit sur leur nature, apporte des réponses à leurs interrogations fondamentales. Génie du christianisme est un acte d’amour est une œuvre de rachat, une nouvelle aube lavant les crimes et les ignominies de la fureur révolutionnaire à l’encontre de la religion chrétienne. Chateaubriand écrit dans la "Préface testamentaire" des Mémoires d'outre-tombe qu'il a " vu finir et commencer un monde ". Riche d'un héritage librement transmis, il a en effet, dans le Génie du christianisme, commencé un monde.

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